La Sablière : un joyau méconnu du Rhône entre mémoire nationale et héritage familial

La Sablière un joyau méconnu du Rhône entre mémoire nationale et héritage familial
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Perchée au-dessus du Rhône, La Sablière est bien plus qu’une simple demeure familiale. C’est une capsule temporelle, un témoin silencieux de l’Histoire de France. À travers les siècles, cette propriété a vu défiler des figures illustres, des luttes idéologiques et des élans culturels que son actuel héritier, Maxime Dehan, s’efforce de préserver.

La Sablière tire son nom de la nature sablonneuse de son sol, mais son histoire plonge bien plus profondément dans la mémoire locale. Dès le Moyen Âge, on retrouve des traces de cette prestigieuse demeure de Caluire dans les archives : propriété de la famille Chalmette, des commerçants et échevins de Lyon implantés dans la région, elle connaît son premier grand à la fin du XVIIe siècle, en entrant dans le patrimoine des comtes de Puisserguier.

Plus tard, la maison est acquise par Joseph Arnaud, receveur général des Douanes. À sa mort, c’est sa veuve, Magdelaine Sorbière, qui donne à la demeure son envol. Grâce à une fortune héritée d’un second mariage aussi bref que fructueux, elle transforme La Sablière en un véritable centre de sociabilité régionale. Le gotha lyonnais, aristocrates, officiers et bourgeois s’y croisent régulièrement, entre dîners mondains et intrigues discrètes.

 

De la Révolution à la cause carliste : les soubresauts de l’Histoire

Avec la Révolution française, la propriété entre dans une nouvelle phase de son existence. L’armée conventionnelle y installe ses batteries, surplombant les marais de la Tête d’Or — aujourd’hui l’un des plus vastes parcs urbains d’Europe. Depuis ces hauteurs, les républicains tiennent les Girondins en respect, marquant la demeure d’un épisode militaire aussi stratégique que peu connu.

Plus tard, le brasseur Pierre Gayet devient propriétaire des lieux. Son ambition est claire : tourner la page des conflits passés et poursuivre l’œuvre d’embellissement amorcée par ses prédécesseurs. Mais c’est véritablement sous la famille Petit de Meurville que La Sablière va entrer dans l’histoire nationale.

François-Didier Petit (dit Didier Petit de Meurville 1793-1873), peintre et diplomate, catholique fervent et légitimiste convaincu, va faire de la maison un lieu aussi politique qu’artistique. Fervent partisan des carlistes — les partisans du prétendants au trône d’Espagne— il organise à La Sablière, au cœur du XIXe siècle, nombre de réunions secrètes et de complots royalistes. Sa mémoire plane encore dans les couloirs et salons qu’il a aménagés dans un goût raffiné, témoignant d’un art de vivre typiquement français.

La demeure conserve d’ailleurs le seul patrimoine matériel encore existant lié à Didier Petit de Meurville. Ce dernier avait été chargé par le roi Charles X de participer à la décoration de la cathédrale de Reims pour son sacre en 1825, dont on célèbre actuellement le bicentenaire. À cette occasion, une exposition exceptionnelle a été inaugurée à Paris sous l’égide du Mobilier National, parrainée par Stéphane Bern et Jacques Garcia, rassemblant notamment les chasubles en fils d’or et d’argent créées par la fabrique Didier Petit.

 

Le Second Empire et la métamorphose d’un domaine d’exception

La Sablière change à nouveau de main à la suite d’importantes dettes. C’est Jean-Barthélémy Chazottier (1804–1891) qui en devient le nouveau maître. Visionnaire, il repense entièrement la propriété : ajout d’une orangerie, d’une serre, d’un pavillon, d’une volière, d’un bassin, et création de nouvelles allées. Il confère à la demeure une allure impériale que le Second Empire viendra magnifier.

Le salon d’entrée, notamment, conserve les marques de cette époque faste, ayant accueilli de nombreuses figures bonapartistes. Plus qu’une simple résidence, La Sablière devient un livre ouvert sur deux siècles d’histoire politique française.

Depuis cette époque, La Sablière est restée habitée par les héritiers de ceux qui l’ont façonnée. Maxime Dehan, ingénieur de profession et descendant de la lignée actuelle, 35 ans, s’est fixé une mission : réhabiliter cette demeure, la préserver et l’inscrire aux Monuments historiques. « Ici, à La Sablière, c’est un véritable voyage dans le temps, en plein XIXe siècle. Le temps semble figé et l’Histoire de France vous est racontée. », assure le jeune homme, récemment décoré de la médaille du rayonnement culturel, remise le 3 mai 2025 par Michel Lebon, président de l’Association des membres de l’Ordre National du Mérite.

 

Une mobilisation pour un classement patrimonial mérité

La cérémonie du 3 mai a rassemblé un parterre d’amateurs d’histoire, de culture et d’art : les élus de Caluire, Bernard Berthod (conservateur du musée d’Art Sacré de Fourvière), Julia Bihel (chargée de collection Tomaselli), Nathalie Lamberton-Lebrun (responsable de la Maison Ravier de Morestel), Eva Delcourt (conservatrice des Archives des Œuvres Pontificales Missionnaires), Pierre Prunet (président d’honneur de l’Académie de Villefranche et du Beaujolais), l’Académie de la Dombes mais aussi historiens, écrivains, artistes et journalistes.

Malgré un refus de protection de la DRAC, 14 associations et spécialistes soutiennent Maxime Dehan dans son combat pour le classement de la Sablière. Et le public ne s’y trompe pas : chaque année, des centaines de visiteurs se pressent dans ses allées et ses salons à l’occasion des Journées européennes du Patrimoine et lors des Rendez-vous aux jardins.

 

Un avenir suspendu… mais encore possible

Déterminé, Maxime Dehan a déjà écrit au « Monsieur Patrimoine » de l’Elysée, l’animateur Stéphane Bern, qui a promis de venir en personne. Il envisage désormais de saisir la ministre de la Culture Rachida Dati, dans l’espoir d’une réévaluation du dossier.

Son combat est aussi celui de la mémoire collective, de l’histoire partagée, et de la transmission d’un patrimoine où l’histoire nationale rencontre l’intimité familiale. Car dans cette maison aux 3 500 m² de jardins, c’est toute une époque qui respire encore — celle de Didier Petit, de Charles X, du Second Empire, mais aussi des figures de la vie artistique française : le peintre Jules Micol, le sculpteur Marcel Gimond, les poètes Charles Forot et Louis Pize, le peintre Jean Fusaro ou encore le prix Goncourt René Benjamin.

 

Frederic de Natal